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April 2, 2018 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Médecine & enfance

Hyperpilosité de l’enfant

DERMATOLOGIE

E. Bourrat, consultation de dermatologie, hôpital Robert-Debré, Paris [email protected]

L’hyperpilosité est une augmentation diffuse ou localisée de la pilosité par rapport à une normalité définie en fonction de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique ou d’une topographie particulière. Qu’elle révèle une pathologie sous-jacente ou pose simplement le problème de son retentissement esthétique et/ou psychologique, elle ne doit jamais être considérée comme un banal problème cosmétique.

DEUX MÉCANISMES INTERVIENNENT DANS L’HYPERPILOSITÉ [1] 첸 Un changement du cycle pilaire, qui provoque, en cas d’allongement de la durée de la phase anagène, une augmentation de longueur des poils et des cheveux, et, en cas de diminution du pourcentage de follicules entrant en phase télogène, une augmentation de la densité des poils et des cheveux. 첸 Une conversion des duvets en poils terminaux : ce processus est physiologique à l’adolescence et correspond au développement de la pilosité pubienne et axillaire sous l’effet des androgènes surrénaliens et gonadiques, mais peut être aussi un signe pathologique en cas d’hyperandrogénie organique ou fonctionnelle. La part des facteurs hormonaux (hormones sexuelles ou non), iatrogènes, métaboliques, vasculaires ou génétiques pouvant interagir sur ces deux mécanismes est mal connue, et il est actuellement difficile d’établir une classification physiopathologique des hyperpilosités. Nous proposons donc un arbre décisionnel basé sur le caractère congénital ou acquis, localisé ou diffus, isolé ou syndromique de l’hyperpilosité. La plupart des étiologies des hyperpilosités sont communes à l’enfant et à l’adulte, mais la démarche diagnostique pédianovembre 2011 page 391

trique doit privilégier la recherche d’une cause hormonale (puberté précoce), d’une maladie génétique ou d’une dysraphie, pour ne pas retarder une prise en charge thérapeutique adaptée.

HYPERPILOSITÉ PHYSIOLOGIQUE OU PATHOLOGIQUE ? [2, 3] La première étape est de confirmer le caractère pathologique de l’hyperpilosité et donc d’éliminer une pilosité physiologique, en fonction de l’âge, de l’origine ethnique et des antécédents familiaux : 첸 le lanugo physiologique du nouveauné (longs poils très fins diffus) disparaît au cours des six premiers mois de vie ; 첸 le duvet physiologique de l’enfant peut être plus visible, car plus pigmenté, dans certaines ethnies (Méditerranée, Inde) ; 첸 la pilosité pubienne peut physiologiquement déborder à la face interne des cuisses et sur la ligne ombilicopubienne chez les femmes d’origine méditerranéenne. L’orientation étiologique est fondée sur : 첸 l’analyse des caractéristiques de l’hyperpilosité : acquise ou congénitale, diffuse ou localisée ; 첸 l’existence de signes en faveur d’une hormonodépendance : présence d’une

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pilosité ayant les caractéristiques postpubères (aisselles, pubis) chez un enfant prépubère, ou ayant les caractéristiques d’un adulte de sexe masculin (visage, thorax antérieur, ligne ombilicopubienne) chez une fille pubère ; 첸 le type des poils concernés : lanugo (poils longs, fins, présents in utero et dans les premiers mois de vie), duvet (poils courts, fins, non pigmentés), poils terminaux (longs, épais, pigmentés).

1. Hypertrichose ethnique 2. Hirsutisme 1

HYPERTRICHOSE, HIRSUTISME OU VIRILISME ? [2, 3] La deuxième étape de la démarche diagnostique est de déterminer si cette hyperpilosité correspond à une hypertrichose simple, caractérisée par une exagération de la pousse pileuse, en longueur et en densité, dans les régions normalement pileuses, ou à un hirsutisme. L’apparition de poils hormonodépendants avant la puberté ou l’exagération de cette pilosité hormonodépendante après la puberté signent un hirsutisme dû à une stimulation hormonale excessive par les androgènes d’origine gonadique ou surrénaliens. Une pilosité dans des zones normalement glabres chez la fille (lèvre supérieure, menton, favoris, dos, région inter mammaire) caractérise un virilisme pilaire. S’il ne s’agit pas d’une hypertrichose simple et si la clinique oriente vers un diagnostic d’hirsutisme ou de virilisme pilaire, l’enfant doit être adressé à l’endocrinologue pédiatre ou au gynécologue (fille pubère). Les principales étiologies endocriniennes des hyperpilosités de l’enfant et de l’adolescent sont : 첸 la puberté précoce vraie d’origine centrale, idiopathique ou plus rarement de cause tumorale (IRM hypothalamohypophysaire) ; 첸 l’hyperandrogénie fonctionnelle ovarienne chez l’adolescente, qui associe obésité, troubles du cycle (aménorrhées, dysménorrhées), hirsutisme et parfois acné et alopécie androgénique ;

diagnostic de puberté précoce vraie (d’origine centrale) ou de pseudo-puberté précoce (d’origine périphérique, surrénalienne ou gonadique). Une pilosité pubienne et/ou axillaire isolée (sans développement des seins ni accélération de la croissance) peut être en rapport avec une adrénarche précoce ou une prémature pubarche de bon pronostic, mais il peut également s’agir d’une hyperplasie congénitale des surrénales à révélation tardive (bloc en 21hydroxylase). Rappelons qu’au cours de la puberté normale de l’enfant, la pilosité « sexuelle » apparaît classiquement quelques mois après le développement des seins chez les filles (entre neuf ans et demi et quatorze ans) et un an après le développement des testicules chez les garçons (entre onze ans et demi et quinze ans et demi).

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HYPERTRICHOSE GÉNÉRALISÉE : IATROGÈNE OU GÉNÉTIQUE ?

첸 les hyperplasies surrénaliennes congénitales par blocs enzymatiques, souvent révélées tardivement par un hirsutisme pour le bloc en 21-hydroxylase et dont le diagnostic repose sur le test au Synacthène® ; 첸 les pathologies tumorales périphériques surrénaliennes ou gonadiques (heureusement rares car il s’agit souvent de tumeurs de mauvais pronostic : corticosurrénalome ou choriocarcinome), caractérisées par des taux de testostéronémie supérieurs à 150 ng/ml ; 첸 les prématures pubarches [4]. L’examen de la courbe de croissance, de la maturation osseuse (âge osseux), ainsi que la recherche du développement d’autres caractères sexuels secondaires (seins, organes génitaux) sont des éléments importants de l’arbre décisionnel, permettant d’orienter vers un novembre 2011 page 392

Le diagnostic de l’origine iatrogène d’une hypertrichose (le plus souvent généralisée) repose sur les données de l’interrogatoire. Les traitements en cause peuvent être : 첸 des traitements systémiques : ciclosporine, phénitoïne, corticothérapie générale, vasodilatateurs (diazoxide, minoxidil) ; 첸 des traitements locaux : dermocorticoïdes (en fait rarement responsables). A noter que le minoxidil topique peut accentuer fortement les duvets (visage et corps) dans les ethnies prédisposées (Inde, Méditerranée) ; 첸 la prise de phénitoïne pendant la grossesse. Une intoxication alcoolique chronique peut être également à l’origine d’une hyperpilosité marquée chez le nouveau-né. Dans l’hypertrichose liée à une cause génétique, le contexte de maladie génétique est le plus souvent évident ; l’hypertrichose est au second plan, associée à d’autres signes [5-7] : retard de croissance et/ou retard mental, par exemple

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3. Hyperpilosité diffuse lors d’une anorexie mentale 4. Hyperpilosité iatrogène (minoxidil topique) 5. Hypertrichose cubitale 6. Naevus pileux 7. Naevus de Becker 8. Hamartome musculaire lisse 9 et 10. Prurigo postvaccinal 5

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dans le syndrome de Cornelia de Lange (synophris évocateur) ou celui de Rubinstein-Taybi ; organomégalie évoquant une maladie de surcharge (mucopolysaccharidose) ; photosensibilité en faveur d’une porphyrie. Une hypertrichose universelle congénitale apparemment isolée doit faire rechercher une hypertrophie gingivale pouvant signer un syndrome hypertrichose-hyperplasie gingivale, autosomique dominant, inconstamment associé à un retard mental. Beaucoup plus exceptionnellement, une hypertrichose apparemment isolée peut être en rapport avec un syndrome d’Ambras (9 cas dans la littérature !), caractérisé par un lanugo diffus (poils fins mais très longs) n’épargnant que les paumes, les plantes et les muqueuses, également autosomique dominant.

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Une maladie générale fréquente chez la jeune fille s’associe volontiers à une hyperpilosité diffuse : l’anorexie mentale, qui, comme toutes les malnutritions graves, est à l’origine d’un lanugo diffus. D’autres causes plus rares sont rapportées : maladies infectieuses ou inflammatoires graves et chroniques, comme la tuberculose ou la dermatomyosite.

COMMENT RAISONNER DEVANT UNE HYPERTRICHOSE LOCALISÉE DE L’ENFANT ? [8] ➜ Une hypertrichose sur la ligne médiane impose d’éliminer une dysraphie sous-jacente : 첸 une localisation dans la région lombonovembre 2011 page 393

sacrée (« queue de faune ») sera explorée, par une échographie médullaire avant l’âge de trois mois, par une IRM chez le nourrisson plus âgé, afin de dépister précocement une moelle insérée basse, un spina bifida occulte ou un filum terminal et d’en éviter les complications neurologiques tardives ; 첸 une zone hyperpileuse (poils plus foncés, plus épais, plus longs) située sur la ligne médiane du cuir chevelu et concentrique autour d’un défect ou de toute autre lésion élémentaire médiane nécessite une imagerie (IRM) pour éliminer une ectopie de tissu cérébral ou méningocèle… ➜ Certaines hypertrichoses circonscrites de localisation spécifique sont le plus souvent isolées et parfaitement bénignes : c’est le cas de l’hypertrichose cervicale antérieure et de l’hypertrichose lanugineuse des coudes [8]. ➜ Une hypertrichose localisée associée à une autre lésion élémentaire cutanée peut nécessiter l’avis du dermatologue. Celui-ci peut être amené à diagnostiquer : 첸 un nævus mélanocytaire pileux : de diagnostic clinique évident, il est souvent congénital. La présence de poils n’a pas de valeur pronostique quant au risque de dégénérescence. L’exérèse précoce peut être discutée, non pas tant pour raison médicale (il est le plus souvent bénin) qu’esthétique ; 첸 un nævus de Becker : unilatéral, thoracique antérieur ou postérieur, ce nævus se présente comme une large macule pigmentée, de forme déchiquetée, couverte de poils, et apparaît souvent à l’adolescence ; 첸 un hamartome musculaire lisse : d’apparition précoce chez le nourrisson (voire congénital), il réalise un placard gaufré (ou en peau d’orange) de la couleur de la peau normale, souvent recouvert de duvet, qui devient turgescent à la friction (pseudo-signe de Darier) par un mécanisme d’horripilation des poils [9] ; 첸 un neurofibrome au cours d’une neurofibromatose de type I, qui peut prendre l’aspect d’un placard pileux et hyperpigmenté. ➜ Certaines hypertrichoses bien parti-

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culières sont de diagnostic évident du fait du contexte ou de l’anamnèse : 첸 l’hypertrichose postinflammatoire, qui survient en cas de prurit chronique prolongé (augmentation du débit sanguin secondaire à la réaction inflammatoire ?), en particulier dans le prurigo strophulus de l’enfant et sur les réactions postvaccinales (sensibilisation à l’aluminium) au lieu d’injection du vaccin ; 첸 l’hypertrichose « mécanique », dont l’exemple le plus typique est l’occlusion sous plâtre ; 첸 la trichomégalie, hypertrichose isolée des cils observée chez l’enfant au cours des déficits immunitaires (dont l’infection par le VIH) ou d’origine iatrogène (latanoprost collyre).

QUAND ET COMMENT FAUT-IL TRAITER UNE HYPERPILOSITÉ DE L’ENFANT ? La prise en charge de l’hypertrichose doit tenir compte du pronostic. Celui-ci est parfois spontanément favorable : atténuation des hypertrichoses « ethniques » du dos de l’enfant, disparition avec l’âge de la pilosité de l’hamartome musculaire lisse, réversibilité des hypertrichoses iatrogènes avec l’arrêt du traitement (changement de la ciclosporine pour un autre immunosuppresseur chez les transplantés d’organe).

Références [1] WENDELIN D.S., POPE D.N., MALLORY S.B.: «Hypertrichosis », J. Am. Acad. Dermatol., 2003 ; 48 : 161-79. [2] PIENKOWSKI C., GAYRARD-CROS M. : « Diagnostic étiologique et conduite à tenir devant une anomalie de la pilosité chez l’enfant », Ann. Dermatol. Vénéréol., 2002 ; 129 : 817-20. [3] BENNET A. : « Hypertrichose et hirsutisme. Démarche diagnostique et thérapeutique », Ann. Dermatol. Vénéréol., 2002 ; 129 : 804-12. [4] IBANEZ L., DIAZ R., LOPEZ-BERMEJO A., MARCO M.V. : « Clinical spectrum of premature pubarche: links to metabolic

La prise en charge nécessite également une évaluation du retentissement esthétique, psychologique et social de l’hypertrichose (il n’existe toutefois pas d’échelles de qualité de vie spécifiques chez l’enfant). Un traitement étiologique est possible dans certaines formes d’hypertrichose : formes iatrogènes (changement d’immunosuppresseur), traitement d’une hyperandrogénie dans les ovaires polykystiques, traitement substitutif frénateur dans les blocs surrénaliens… Le traitement symptomatique idéal de l’hypertrichose, c’est-à-dire efficace, définitif, indolore, rapide, bon marché, sans effets secondaires… n’existe pas plus chez l’enfant que chez l’adulte. Chaque méthode présente des avantages et des inconvénients qu’il faudra exposer à l’enfant et à ses parents. On pourra essayer successivement plusieurs de ces méthodes jusqu’à obtention d’un objectif « raisonnable » satisfaisant pour l’enfant : 첸 la décoloration (eau oxygénée) ; 첸 les méthodes de dépilation (rasage et crèmes épilatoires, fil) : elles ne « renforcent » pas le poil mais nécessitent d’être répétées très régulièrement ; 첸 les méthodes d’épilation non définitive (arrachage du poil), souvent douloureuses ; 첸 les méthodes d’épilation « longue durée » par lampes flash (utilisables par les esthéticiennes, les médecins ou en appareil individuel) ou par lasers épilatoires

(à usage exclusif des médecins) peuvent être utilisées sur des poils terminaux localisés, mais elles posent le problème de leur tolérance et de leur efficacité sur des pilosités étendues [10], ainsi que celui de leur prise en charge (exceptionnelle pour certains syndromes génétiques). A noter enfin qu’il n’existe pas d’AMM pédiatrique pour l’hydrochloride 첸 d’éflornithine (Vaniqa®).

syndrome and ovarian hyperandrogenism », Rev. Endocr. Metab. Disord., 2009 ; 10: 63-76. [5] MENDIRATTA V., HARJAI B., GUPTA T. : « Hypertrichosis lanuginosa congenita », Pediatr. Dermatol., 2008 ; 25 : 483-46. [6] MAZA A., GAUDY-MARQUESTE C., COLLET VILETTE A.M., JOUBERT F., RICHARD M.A., GROB J.J. : « Hypertrichose universelle congénitale », Ann. Dermatol. Vénéréol., 2009 ; 136 : 300-2. [7] BOUI M., GHFIR M., SEDRATI O. : « Hypertrichose ciliaire et dysmorphie au cours d’une hypertrichose universelle congénitale: syndrome d’Ambras ? », Ann. Dermatol. Vénéréol., 2009 ; 136: 481-2. [8] VASHI R.A., MANCINI A.J., PALLER A.S. : « Primary generalized and localized hypertrichosis in children », Arch. Dermatol.,

2001 ; 137 : 877-84. [9] MARTINEZ DE LAGRAN Z., GONZALEZ-PEREZ R., ARREGUIMURUAS A., SOLOETA-ARECHALAVA R. : « Hypertrichosis cubiti : another case of a well-recognized but under-reported entity », Pediatr. Dermatol., 2010 ; 27 : 310-1. [10] HOLLAND K.E., GALBRAITH S.S. : « Generalized congenital smooth muscle hamartoma presenting with hypertrichosis, excess skin folds, and follicular dimpling », Pediatr Dermatol., 2008 ; 25236-9. [11] RAPJAR S.F., HAGUE J.S., ABDULLAH A., LANIGAN S.W. : « Hair removal with the long pulse alexandrite and long pulse Nd:YAG lasers is sage and well tolerated in children », Clin. Exp. Dermatol., 2009 ; 34 : 684-7.

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Résumé L’hyperpilosité chez un enfant

n’est pas un motif exceptionnel de consultation, le plus souvent demandée par les parents ou le jeune patient pour des raisons d’ordre esthétique. L’hyperpilosité impose dans tous les cas une démarche diagnostique rigoureuse, afin de ne pas méconnaître une réelle pathologie localisée ou systémique et de pouvoir proposer une prise en charge thérapeutique adaptée. L’excès de poil doit dans un premier temps être objectivé, en fonction de critères d’âge, de sexe, d’origine ethnique, avant d’être analysé : caractère diffus ou localisé, congénital ou acquis, isolé ou syndromique. A l’issue de cette analyse, le médecin doit pouvoir soit rassurer sur le caractère non pathologique de cette pilosité, soit proposer une explication en fonction du contexte, soit prescrire des examens simples, soit enfin orienter d’emblée l’enfant vers un dermatologue, un endocrinologue ou un généticien. Mots clés Hyperpilosité, hypertrichose, hirsutisme.

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